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L'accompagnatrice

Par Jacky Durand — 5 juillet 2008 à 04:11

C'est une femme qui aime prendre la main de ceux qui vont mourir. Ni dame patronnesse en mal de bonnes oeuvres ni bonne soeur contrariée. «J'éprouve de la compassion mais pas de la pitié ou de l'apitoiement.» Laure Hubidos, 39 ans, a été durant dix ans attachée de presse du conseil régional de Franche-Comté à Besançon, avant d'y être chargée de mission. On avait le souvenir d'une personne discrète, pas du tout versée dans une certaine représentation bling-bling des relations publiques. Mais avec juste ce qu'il fallait d'élégance et de réserve pour laisser deviner une existence bourgeoise et confortable.

Une grosse poignée d'années, un divorce, un autre homme et un bébé plus tard, on la retrouve à la tête d'un projet, à ce jour unique en France. une «Maison de vie» dédiée aux personnes nécessitant des soins palliatifs mais qui ne relèvent pas de l'hôpital ou qui sont en trop grande précarité pour bénéficier d'une hospitalisation à domicile. Laure a aussi coupé ses cheveux, signe extérieur de renouvellement reconnu parmi la gente féminine. A-t-elle pour autant changer de vie en choisissant de se consacrer à ceux qui la terminent. «J'ai toujours été préoccupée par les autres. En marge de mon travail, j'avais un manque, avant.»

Au début des années 2000, elle entend parler d'une association accompagnant les personnes en fin de vie et «ouvre les pages de l'annuaire» pour s'aventurer dans cette béance existentielle qu'impose la proximité de la mort. Durant une année de formation, Laure retrouve un groupe de paroles. «On y parlait de la fin de vie, de notre propre expérience de mort.» Laure a 4 ans quand sa mère décède d'un cancer. Sur le coup, on ne lui dit rien. Elle est adoptée par la troisième épouse de son père. «Je n'ai jamais connu l'insouciance des enfants.» Avec son père, officier de marine marchande et féru de philosophie, elle «baignait dans un humanisme qui alimentait toutes les conversations à table». Laure est restée à son chevet durant sa dernière semaine.«La mort de mon père, c'est la plus belle leçon de vie qu'il m'ait donnée. Depuis qu'il n'est plus, je me dis chaque jour. "Et si je devais mourir demain, est-ce que ce que j'ai fait de ma vie me satisferait ?"» Elle a aussi «grandi grâce à un travail personnel» qui lui a permis de mettre des mots sur cette mort maternelle ensevelie dans le silence. C'est venu à la naissance de son premier fils, Guillaume, aujourd'hui âgé de 16 ans et belle gueule d'ado sur la photo de ses trois enfants (Chloé, 12 ans, Paul, 6 mois) qui trône sur son bureau.

Laure a 23 ans quand elle découvre la solitude de la souffrance physique. «J'avais une invagination intestinale. Même sous morphine à haute dose, je souffrais énormément. La seule chose importante pour moi, c'était que la douleur cesse, quitte à ce que je doive mourir. Quand j'appelais l'infirmière, elle me disait. "Je ne peux rien faire".» C'est un petit geste d'une aide-soignante qui l'a apaisée. «Elle s'est assise sur mon lit, elle a pris ma main. Si vous saviez le bien qu'elle m'a fait.»

Dans le service de soins palliatifs du CHU de Besançon, Laure prend conscience que la fin de vie reste un compte à rebours indéterminé qui fait que le malade peut être condamné à des allers-retours entre son domicile et l'hôpital. En 2003, elle a fait connaissance d'un «personnage», comme elle dit, parmi les patients des soins palliatifs. un homme d'une cinquantaine d'années atteint d'une sclérose latérale amyotrophique, une maladie neurologique dégénérative. «Ben avait une forte personnalité. Il pouvait être agressif, révolté par son état. C'était l'exemple typique de ces gens atteints d'une mal incurable qui font le yo-yo dans leur tête au gré de leur moral. Ben avait peur de rentrer chez lui. Je lui ai dit. "Je continuerai de venir vous voir." Quand je suis allée frapper à sa porte, il m'a dit. "Tout le monde m'a laissé tomber." Il vivait avec sa mère de 90 ans. Il couchait sur un canapé, sa mère dormait allongée sur le sol à côté de lui.» Durant deux ans et demi, Laure s'est occupée exclusivement de Ben. Mais vouloir le bien des autres n'est pas une partie de plaisir. «Au début, c'était difficile, il ne comprenait pas pourquoi je venais le voir. Il me disait. "Vous êtes une bourgeoise."» Laure téléphone tous les jours à Ben, l'emmène en balade, «la musique à fond, ça l'apaisait. Un jour, on a sillonné la vallée de la Loue et il a m'a dit: "J'oublie que je suis malade".» Elle découvre aussi tous ces tracas qu'ignorent les biens portants. «Couper les ongles, c'est tout bête mais les auxiliaires de vie n'ont pas le droit de le faire. Ben n'avait plus de dents. Nous avons trouvé un dentiste qui acceptait la CMU [Couverture médicale universelle, ndlr]». C'est en accompagnant Ben que Laure a pris conscience «qu'il manquait un maillon, un lieu qui ne soit pas l'hôpital pour accueillir des gens qui ont des maladies graves avancées et pour lesquels on n'a pas de réponse adaptée en terme d'accompagnement».

Depuis quatre ans, Laure travaille à l'élaboration d'une «Maison de vie» où l'on ferait pour d'autres ce qu'elle a fait pour Ben. «C'est une maison d'habitation où l'on viendra continuer de vivre.» Dans le petit italien du Vieux Besançon où elle a donné rendez-vous, elle décrit son projet avec force de détails qui lui font oublier son assiette de pâtes. Une jeune femme belle, nantie, au chevet de la vie moribonde, c'est forcément suspect pour certains. «Il y a des gens qui m'ont trouvée bizarre. Pour eux, je ne rentrais pas dans le moule de l'attachée de presse jeune et jolie. Mais ceux qui me connaissent bien savent que je suis cohérente.» «Il y a quelque chose de très authentique chez Laure, estime le Dr Régis Aubry, chef du service de soins palliatifs du CHU de Besançon et président du Comité national de suivi du développement des soins palliatifs. Elle est dans la gratuité du don aux autres, elle leur permet de garder leur dignité.»

Ben s'est éteint chez lui, un matin à 6 heures. Depuis, Laure n'a pas accompagné d'autre malade. «Ça me manque. Notamment le fait de donner aux gens la possibilité d'accomplir ce qu'ils ont envie de faire. Ben voulait revoir la mer. Il savait que ce serait la dernière fois. On avait tout préparé mais au dernier moment, il n'a pas voulu y aller, il a eu peur. Mais rien que le fait de l'avoir imaginé, c'était important pour lui.»

Quand elle est près des malades, Laure «a l'impression d'être à [sa] place. On ne peut pas mentir. On est dans l'essentiel». Entre la fin de vie d'autres et son propre quotidien, elle a appris à se ménager des «sas» comme ses «trajets en voiture». Elle peint - «de l'abstrait» -, nage, jardine. Elle, bien mise de sa personne, «coquette» revendiquée, ne fuit pas l'étiolement des corps («Ça me touche mais ça ne m'affecte pas») alors qu'elle vit dans une société qui «les bannit» et où «il faut être riche, beau et jeune. Je trouve qu'il y a beaucoup de gens qui sont à côté de leur vie, dans le paraître, dans le pouvoir». Elle a porté Ben et son corps recroquevillé de 40 kilos dans ses bras, l'a aidé à fumer quand il ne pouvait plus porter sa cigarette à la bouche et lâche dans un souffle. «Il y a quelque chose chez moi qui relève de la vocation.» Et quand elle se projette en 2009, quand sa «Maison de vie» verra le jour, la première image qui lui vient à l'esprit, c'est sa «main dans celles des résidents» .

Laure Hubidos en 10 dates 8 juin 1969 Naissance à Romans-sur- Isère (Drôme). 1973 Mort de sa mère. 1992 Naissance de son fils Guillaume. 1996 Naissance de sa fille Chloé. Mai 2001 Mort de son père. Juillet 2002 Début dans l’accompagnement aux soins palliatifs. Juillet 2003 Rencontre avec Ben, patient au CHU de Besançon. Décembre 2005 Mort de Ben. Septembre 2007 Naissance de son fils Paul. Juin 2008 Mort de sa mère adoptive.